Pour peut qu'on le
soumette à l'analyse, le plaisir que l'on éprouve à la vision de
cet improbable film finlandais, nous oblige à accepter une évidence
surprenante : notre euphorie est totalement similaire à celle
provoquée par ces films familiaux des années 80, qui, en une
poignée d'années marquèrent pourtant d'un empreinte indélébile
et inimitable le cinéma de divertissement grand public.
Tête de
proue du mouvement, un Steven Spielberg alors
créativement bicéphale, qui tout en réalisant des films séminaux comme E.T, ou Indiana Jones et le Temple maudit, puis La couleur Pourpre ou Empire du Soleil, prenait son travail de producteur au
sérieux, et le consacrait alors vraiment à la propagation d'un
formidable élan créatif dans le cinéma américain grand public familial.
Une formule, difficilement définissable, mais dont on repère, de films en films, des invariants, et qui finira par être identifiée à la maison de production de Steven Spielberg, responsable des films fondateurs du style « Amblin ». A tel point que la production de certains films n'ayant rien à voir avec la société de Spielberg, comme Explorers ou The Monster Squad, lui sont pourtant fréquemment attribués.
Une formule, difficilement définissable, mais dont on repère, de films en films, des invariants, et qui finira par être identifiée à la maison de production de Steven Spielberg, responsable des films fondateurs du style « Amblin ». A tel point que la production de certains films n'ayant rien à voir avec la société de Spielberg, comme Explorers ou The Monster Squad, lui sont pourtant fréquemment attribués.
S'il est bien un registre
de films éveillant immédiatement une nostalgie profonde chez les
cinéphiles de ma génération, c'est celui sur lequel le producteur
Steven Spielberg régna en maître durant une demi-douzaine d'années,
entre 1984 (Gremlins) et 1990 (Gremlins 2). Alors qu'aujourd'hui, des
cinéastes tout aussi nostalgiques se font adouber par leur idole
pour tenter de ranimer, comme si 30 ans n'avaient pas passé, ce
cinéma qu'on a perdu sans même s'en apercevoir, la surprise
provient d'un film suédois au budget ridicule, sorti de nulle part,
qui ressuscite sans efforts apparents et avec une fraîcheur et un
naturel étonnant toute l'esthétique Amblin des années 80, mais
surtout le lien particuliers qu'elles savaient tisser avec leurs
spectateurs.
Selon la règle presque
immuable, ce sont des enfants livrés à eux-même qui sont les
acteurs du récit et les protagonistes principaux de l'histoire. A
l'issue du drame- initiatique- ils auront réussi, à la fois, à
prouver qu'ils ont grandi (en résolvant la crise qui menace leur
société ) et à réaffirmer le lien qui les unit à leurs parents
(en se réconciliant avec eux.)
Si Rare
Exports (évitons de recourir au titre français sans imagination)
semble paradoxalement si frais, c'est qu'il se déroule dans un cadre
bien exotique pour un film de son genre, et qu'il se joue de quelques
tabous dont on devine bien qu'il sont sans doute beaucoup moins
opérant dans la société nordique que dans la nôtre.
En effet, peu de chances
qu'on aurait eu l'occasion de voir un jour, dans un film américain
grand public une horde de vieillards totalement nus courant dans la
neige, à la poursuite d'un groupe d'enfants... sans que cette image
ne mette pour autant mal à l'aise le spectateur.
Avant d'en arriver à
cette vision saisissante, dont on imagine qu'elle a pu constituer pour
le réalisateur l'inspiration de tout le projet, Jalmari Helander a
patiemment posé toutes bases de son récit, construit en un mouvement
crescendo typique du genre, chaque scène devant dépasser la
précédente par son ampleur ou, ici, sa poésie bizarre et décalée,
le film ne bénéficiant pas d'un budget permettant de ne jouer que
la carte de l'emballement spectaculaire. Mais nécessité faisant
loi, Helander compense sa pauvreté par une créativité narrative
reposant souvent sur l'association d'images ou d'imageries à priori
contradictoires. La créature au cœur du film est le symbole parfait
de la démarche du réalisateur : c'est un monstre terrifiant,
pris dans la glace, dont nous ne verrons nettement que deux cornes
gigantesques et recourbées comme celles d'un bouc, ou d'un diable !
Mais cette créature, pourtant...c'est le Père Noël !
La première scène du
film joue également sur deux registres : l'angoisse du film
d'horreur débutant par l'exhumation d'un mal ancien enfouit dans les
profondeurs de la terre, mais associée à l'antithèse totale d'un
croque-mitaine : le Père-Noël, car c'est bien sa tombe,
semble-t-il qu'on découvre au début du film.
Ce Père-Noël n'est pas
tout à fait celui que nous connaissons, et encore moins celui que
des années de christmas movies américains dégoulinants de glucose
nous a appris à détester. Pour réenchanter un peu la figure du
bonhomme au chapeau pointu, semble nous dire le cinéaste, il n'y a
qu'un moyen radical. Puisqu'on n'en peut plus de sa gentillesse, le
Père Noël va devenir méchant. D'ailleurs, au détour d'une
réplique, un personnage envoie, comme une note d'intention :
C'est pas le Père-Noël Coca-cola celui-là, hein !
Loin de dénaturer le
mythe comme certains films mettant en scène des Père-Noëls
maléfiques (généralement des maniaques déguisés ), Helander
s'appuie au contraire sur la tradition la plus ancienne et la plus
féérique du personnage, en s'inspirant simplement du
couple formé par les deux pères, Noël et Fouettard. Nous rappelant
que le Père Noël n'apprécie pas les enfants qui n'ont pas été
sages, le cinéaste extrapole : non seulement son Père Noël ne
récompense pas ces enfants-là, mais il les châtie de la plus
terrible des manières : ébouillantés vivants, écorchés vifs
ou fouettés à mort !
C'est
dans cette inversion que réside sans doute le charme fort du film.
Si l'on ne croit plus au merveilleux, à la générosité magique de
l'esprit festif associé à Noël où à la religiosité vitaliste
associée à la célébration de la naissance du Christ, tant l'appel
à la consommation déchainée sature les médias, qu'à cela ne
tienne, c'est par la terreur qu'on ré-enchantera Noël. Pour croire
à nouveau en Dieu, inventons donc un Diable, auquel le Père-Noël
de Rare Exports renvoie d'ailleurs très directement.
Et, reprenant
soigneusement quelques figures de ces divertissements américain d'il
y a 25 ans, Hellander applique la même méthode terroriste. Le
village enneigé est bien présent, mais ce n'est pas une suburb
enguirlandée où l'on vit les uns contre les autres, mais un
ramassis de cabanes de chasseurs éparpillés qui doivent se rendre
visite en moto-neige. Si la famille dysfonctionnelle est bien
présente, c'est la figure du père qui est ici mise en avant (il n'y a pas une femme à l'écran !),
réactualisant la mère au foyer délaissée mais courageuse de
nombreuses production Spielberg.
Les dernières scènes du
film singent leur modèle d'un manière un peu trop consciente et
avec un sens du décalque un peu trop appuyé pour émouvoir
vraiment. Il ne faut pas, pourtant, se laisser gâcher l'impression
laissée par le film. Car avant ce final conventionnel, qui précède
un épilogue superbe justifiant le titre original, le film a su, très
simplement, enraciner sa fantaisie dans une sentimentalité concrète
qui nous permet de nous laisser atteindre par le geste de Hellander.
Car si ses modèles sont évidents, et son hommage appuyé, ils ne
précèdent jamais son envie de décrire les réalités affectives de
ses personnages. Au cœur du récit, il y a deux petits garçons, où
plutôt un jeune adolescent qu'on verra peu, et son jeune frère,
Piétari. Pour tromper leur ennui, ils ont tous les deux découpé
une porte dans la clôture interdisant l'accès au mystérieux
chantier de fouilles, où, ils seront les seuls à le découvrir
hormis l'équipe de chercheurs, on vient donc d’exhumer le tumulus
abritant la dépouille du Père-Noël. La transgression des garçons
aura des conséquences plus graves : C'est par leur faute- et
l'ouverture laissée dans la clôture- que le troupeau de rennes sur
lequel repose toute l'économie des familles du village de chasseurs
va être décimé, privant la communauté des revenus indispensables
à leur survie.
La faute initiale impossible à avouer par un enfant
rongé par la culpabilité, le châtiment fantasmé à partir de
quelques indices que personne ne veut voir (Pietari est persuadé que
le méchant Père-Noël tente de l'enlever pour le punir), mais qui
s'avère, finalement, correspondre à la réalité (Le Père-Noël
maléfique existe, et il a bien senti la faute des enfants.). Ces
sentiments de l'enfance (qui ne s'est jamais demandé s'il méritait
ou pas de figurer sur la liste des enfants sages?), Hellander
parvient à les traduire très justement, à la fois grâce à son
acteur, Onni Tommila, au fascinant visage lunaire, son scénario
vraiment construit, sans péripétie inutile, autour des tourments
intérieurs du garçon, et sa mise en scène, typique de ce cinéma
fantastique du nord dont une silhouette commence à être dessinée à
travers quelques bêtes de festival dont Rare exports fait partie.
Une mise en scène déployant ce sentimentalisme très particulier,
consistant à souligner les émotions par un lyrisme inversé :
s'éloigner lorsque les personnages se rapproche, filmer de dos un
personnage qui pleure, traiter les moments où le drame éclate par
l'immobilisme de la caméra et des acteurs, voire par le hors-champ.
J'évoquais l'épilogue
extraordinaire du film. Il est d'autant plus brillant qu'il met en
scène le projet du film lui-même. Il répond à une crise ( La ruine des personnages, la perversion de l'esprit de Noël ou la disparition d'un cinéma de divertissement fantastique européen ) par la
redécouverte d'un modèle ancien- dans le cas du film, le cinéma de
divertissement familial des années 80, pour les personnages du
récit, la figure classique du Père-Noël aimant- et met en scène
son appropriation nécessaire mais profondément sincère. Et
Hellander prouve que le cinéma inventé au États-Unis au détour
des années 80, s'il a représenté pour certains le summum de
l'impérialisme culturel consumériste contenait en fait un modèle
de récit universel, qui n'a besoin pour nous toucher et nous dire quelque
chose de nous même, ni de dollars, ni d'être tourné sur les
collines de Hollywood.
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