Le cinéma de genre a
cela de paradoxal que son existence dépend du maintien d'un certain
niveau quantitatif de production, qui, s'il est trop haut provoque
une lassitude du spectateur et aboutit à un résultat parfaitement
contre-productif.
Si le plaisir de
l'amateur provient de la permanence de codes établis par des œuvres
fondatrices, son renouvellement n'est possible que par la subversion
de ces codes, qu'elle soit respectueuse ou profanatrice.
La commercialisation de
caméras de moins en moins chères, de plus en plus petites, et de
plus en plus sensibles à la lumière ont permis l'émergence d'un
sous-genre particulièrement exploité ces dernières années :
le found-footage, la bobine retrouvée. Comme souvent,
l'invention plastique précède de quelques années l'invention
technique. Si pour le grand public l'acte fondateur de ce cinéma
faussement documentaire est Le projet blair witch, nous
n'oublierons pas qu'avant les malins Sànchez et Myrick, Deodato
faisait déjà très bien la grimace, inspiré par le fameux Mondo
Cane de 1962.
Les auteurs de Blair
Witch eux-même ont sans doute le sentiment de venir clore un
cycle plutôt que de poser les bases d'une esthétique renouvelée.
La suite de leur film, bénéficiant des largesses budgétaires
permises par leur premier succès délirant est d'ailleurs tourné
dans un style plus conventionnel. Mais la mèche est allumée, dans
l'esprit des producteurs (rentabilité maximale!) comme des cinéastes
excités par la possibilité de revisiter des genres à la lumière
d'une nouvelle esthétique. Et les réussites ne manquent pas. Rec
(2007), Cloverfield (2008), Le dernier Exorcisme
(2010), chacun dans un sous-genre différent démontre que le respect
des codes du film de zombie, de monstre géant ou de possession
n'aboutit pas inévitablement à un académisme stérile.
Le déluge, depuis 5 ans,
de found-footages a bien entendu quelque chose de lassant,
mais cela ne doit pas empêcher de goûter aux réussites encore
régulières comme ce Troll Hunter venu de Norvège.
Le principe du
found-footage a quelque chose de fondamentalement excitant,
plastiquement : il offre au cinéaste la possibilité
d'accroître la vraissemblance de ce qu'il nous montre (l'image est
censée être produite par un des acteurs du film, et nous devons
donc la considérer comme un document et non pas une fiction) tout en
rejetant hors champ ce qui, pourtant, provoque l'émotion,
d'habitude, dans le cinéma de genre : la vision du monstre (les
victimes filmant, nous attendons d'elles qu'elles détournent le
regard à la vision du bourreau). Pour que l'effet soit opérant, il
doit reposer sur une grammaire excluant le monteur. Les
found-footages redoublent donc d'efforts pour nous convaincre
que ce que nous voyions sont des rushes dont on n'aurait exclu que
les passages les plus ennuyeux, sans opérer aucune des manipulations
du cinéma classique. Les filmeurs des found-footages sont
d'ailleurs souvent des amateurs, et lorsqu'il s'agit de caméramen
professionnels (comme dans Rec ou Cannibal Holocaust),
les producteurs insistent bien, par des cartons, sur la volonté de
nous montrer l'intégralité des bobines impressionnées. Autrement
dit, tout est vrai, car tout est visible en continu.
Logiquement, le plan
séquence est la figure idéale du found-footage, et ce n'est
donc plus sur le montage que va être construit le hors-champ, mais
sur les décadrages de la caméra, qui épousant non pas les
mouvements, mais en fait les émotions des protagonistes, devient
plus tremblante à mesure que la terreur gagne, jusqu'à parfois,
ultime figure héritée du dernier plan saisissant (des bobines
retrouvées) de Cannibal Holocaust, chuter au sol pour
signifier, en général, la mort de l'opérateur.
Bien entendu, cette
esthétique du found-footage est également profondément
influencée par celle de l'émission télévisée. Les filmeurs sont
parfois des animateurs (comme dans Rec ou Le dernier
Exorcisme) ou se comportent comme tels (dans Blair Witch ou
Troll Hunter) ? Au contraire du cinéma traditionnel,
adresse directe au spectateur ou regards caméra sont donc permis, et
font même partie des passages obligés. Les innombrables scènes de
confession ou d'adieu de personnages persuadés de vivre leur
derniers instants et de livrer leurs ultimes témoignages relèvent
d'ailleurs de la même logique que ces émissions de télé-réalité
conçues pour recueillir et exposer, au bout du compte, une
confession authentiquement intime d'un être humain dans l'affect
serait mis à nu, directement exposé dans toute sa fascinante
« vérité » La caméra tourne, on ne triche plus.
Les auteurs de Troll
Hunter ont bien compris la bonne blague, et leur film est
traversé par un humour réjouissant. Le petit tour de force de la
chose étant que cet humour n'empêche pas le film de jouer aussi sur
le registre de la peur ou de l'émerveillement.
La grande chance de Troll
Hunter, et sa petite réussite c'est d'être né norvégien. Les
monstres du film sont donc suffisament familiers- presque tout le
monde connait au moins ces hideuses petites figurines de Trolls
déversées dans les attrappe-touristes du monde entier (elles
apparaissent évidemment dans le film...) pour exciter l'imagination,
et la perspective de les voir mis en scène sous un angle inhabituel
(autrement dit pas dans un conte de fée ou un film de fantasy)
provoque la curiosité.
Le film, astucieusement,
se place à la confluence de différents registres : il relève
à la fois du conte, du film de monstre, et du portait documentaire.
L'objet du portrait,
c'est bien évidemment, non pas le Troll, mais leur chasseur, ni plus
ni moins qu'un Van Helsing local. Découvert par l'éternel trio
d'étudiants en mal de sensation fortes, le personnage- c'est là
l'astuce- loin d'être habité par la foi du professeur traquant
Dracula est au contraire un fonctionnaire lessivé ne rêvant que de
raccrocher.
Il faut toujours trouver
une pirouette pour justifier que les filmeurs continuent à filmer,
dans les found-footages, et il est souvent assez drôle de
voir les cinéastes chercher à nous faire admettre qu'un des héros
terrorisé et en danger de mort continue de filmer. Ici, c'est donc
le Chasseur de Trolls qui après avoir joué les ours mal léché
reclus dans sa caravane pour éconduire la troupe de curieux,
retourne sa veste et les invite à l'accompagner, dans l'intention de
révéler au monde entier l'existence des Trolls, et surtout des
conditions de travail scandaleuses qu'on inflige à ceux qui sont
chargés de leur surveillance.
Bien contemporain sur ce
point, le film, sans appuyer, parvient même à faire de ce
personnage désabusé une belle figure : les trolls si
merveilleux ne l'étonnent plus le moins du monde, pas plus que
l'importance de sa mission ne l'enorgueillit, ce qui fait rêver le
Chasseur, c'est une retraite avec pension complète et une maison qui
n'aie pas de roues. La sensibilité à l'imaginaire fantastique, un luxe de riche ?
Selon, cette fois, les
canons les plus classiques du film de monstre, les apparitions des
Trolls sont savamment calculées : nocturne, lointaine et
imprécise, chaque nouvelle séquence impliquant les créatures est
plus spectaculaire que la précédente et les dévoilent un peu plus.
Cette logique toute foraine tient d'ailleurs lieu de progression
dramatique : comme beaucoup de found-footages, le récit
n'a pas vraiment de conclusion et se termine simplement par
l'interruption de la « dernière bobine »
Nanti d'un budget
minuscule, Troll Hunter réjouit aussi parce qu'il nous rappelle
qu'émerveillement et spectaculaire sont des qualités qui dépendent
plus de la mise en scène que de l'épaisseur de l'enveloppe
attribuée aux effets spéciaux. Le film se déroulant entièrement
dans les grands espaces de Norvège, il dégage dès les premières
images un sentiment de grandeur mythologique parfaitement relayée
par les apparitions des Trolls, incarnant à l'écran les forces de
cette nature. A la fois conformes aux canons de l'imagerie la plus
populaire, et retravaillée sur un mode plus réaliste, les créatures ont bénéficié d'un soin dans leur
conception, leur variété et leur fabrication (numérique
principalement) qui régale l'oeil et excite l'imaginaire. La recette
de Troll Hunter n'a rien de mystérieux : la tambouille
est touillée sous nos yeux, et les ingrédients ont déjà servi
dans mille autres plats. On est d'autant plus étonné de lui trouver
tant de saveur, et même, l’écuelle récurée, de se dire qu'on en
reprendrait volontiers.
P.S: l'année dernière, Matthias avait chroniqué un found-footage de science-fiction (décidément, tout y passe), l'anecdotique Apollo 18.
Suffisamment saisissant pour que l'odeur des crottes de Trolls me chatouille les narines.
RépondreSupprimerça c'est du cinéma immersif !
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