ça marche comment ?
Est-ce que ça a seulement marché ? Qui, de l’Ada morte
ou de l’Ada vivante rêve l’autre ? Autrement dit, au spectateur de décider
ce qu’il voit, à supposer que ça ait de
l’importance. Quoi qu’il en soit, ce qui se passe après qu’Ada se laisse
entraîner par son piano, est mis en scène comme une résurrection et une
renaissance. La voix of est explicite : « What a death »[1]. Et
le retour à la surface s’accompagne d’un effet sonore soulignant l’analogie
avec une naissance : une inspiration profonde, peut-être douloureuse. La
scène et structuré par une symbolique presque stéréotypée de l’océan matrice de
la vie. Ada en est sortie, difficilement, par l’équipage de la barque, comme
par des accoucheurs. L’angle choisit, une plongée, aplatissant la profondeur de
l’eau, et soulignant l’interaction d’Ada et des personnages autour d’elle
souligne l’analogie. Ce n’est pas l’image de l’héroïne jaillissant de l’eau
propulsée par sa volonté de vivre, mais celle d’un nouveau-né qu’il faut
assister, et qui accepte de se confier à l’autre. Ce qui est justement l’enjeu
de la vie qui l’attend et qu’Ada a choisi. Apprendre à parler, vivre auprès de
quelqu’un à qui elle peut se donner et non plus résister. Etre dans le monde
autrement que par le truchement de la musique. Le piano de la vie d’avant est
resté au fond de l’océan. D’ailleurs comme dans beaucoup de mises en scène de
la résurrection, ici aussi il faut passer par un état intermédiaire et un monde
flottant entre celui des vivants et des morts. C’est le travail plastique sur
l’image qui le matérialise ici : ralentis très appuyés, effets de flou et
de miroitement. Autrement dit, dans cet espace d’indécision ou l’on n’est ni
mort ni vivant, la perception se brouille et le temps perd sa dynamique. Tout y
est suspendu.
ça vaut le coup ?
Cette
nouvelle vie aperçue à la fin du film a tout d’onirique. En ne nous montrant
que des détails, en évitant soigneusement un plan d’ensemble qui poserait
objectivement la scène, Jane Campion procède d’une narration qui relève
de la dynamique du rêve, de la même façon qu’en se réveillant on ne se souvient
de nos songes que par quelques détails, une image ici, une sensation là. La
cinéaste retarde d’ailleurs le moment où l’on verra le visage d’Ada, instaurant
brièvement une atmosphère incertaine, participant au flottement onirique de
toute la scène.
c'était mieux avant ?
Tellement pas qu’Ada a fini par préférer mourir que vivre. J’écrivais
avant-hier que chez Almodovar l’humanité des personnages s’exprimait par le
spectacle de leurs émotions, chez Campion, c’est dans le refus d’une vie où
l’intériorité de l’individu ne pourrait plus s’exprimer. En voyant son piano
sombrer, le seul objet par lequel elle pouvait trouver une identité face au
monde, Ada a choisit de disparaître avec lui, plutôt que de laisser se
continuer une existence où elle serait privée d’elle-même. Comme chez le
cinéaste espagnol, les personnages existent dans toute leur humanité plutôt que
comme vecteur d’une leçon dont leur parcours dramatique donnerait le sens, si
bien que la question de la renaissance d’Ada est finalement sans grand
importance. Elle affirme son identité par ce paradoxe : Mourir comme seul
moyen de pouvoir continuer à exister en restant elle-même : « It’s a
weird lullaby, and so it is. It is mine »[2] Ce
qui s’ensuit a tout du rêve : cette maison irradiant la lumière, la porte
dont l’ouverture est soulignée par les rideaux que le vent soulève, cette
petite fille qui se joue de la gravité en remuant avec cette vitalité qui
n’appartient qu’à l’enfance, cet homme débordant d’amour. Qu’elle le vive ou
pas, il n’appartient qu’à Ada, et rien ne pourra le lui enlever. Et
certainement pas la mort… Qu’est –elle, pour qui à la force de vivre à la
hauteur de ce qu’il veut être, semble nous demander Jane Campion ?
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