jeudi 30 avril 2020

18/31 : Il est de retour (Er ist wieder da) 2015






ça marche comment ?

On apprendra à la fin du film qu’en fait, il n’est sûrement jamais mort, cet Adolf Hitler… Attention, foin ici de théorie du complot ou de considérations historiques fumeuses ! Dès les premières images du film, le dictateur se réveille dans un vague jardin public, au pieds de tours de la Willemstrasse, où se trouvait la chancellerie du Reich et son fameux bunker jusqu’en 1945, et où passait il n’y a pas si longtemps encore le Mur qui divisa la capitale allemande pendant plus d’un quart de siècle. David Wnendt, le réalisateur, et Oliver Masucci, l’interprète de l’autocrate, à mon sens le véritable auteur du film, du moins celui qui lui donne tout son intérêt, nous présentent dès l’ouverture un Adolf encore noirci et fumant de la crémation tout à coup avortée d’avril 1945. Hitler n’est donc pas mort : il vient de se réveiller parmi nous, en ces années 2010’, au milieu de cette Europe a priori tellement éloignée du cauchemar de la Seconde Guerre mondiale. 

Bien entendu, il y a là un dispositif auquel on nous demande instamment d’adhérer, ce qui n’est pas si évident. D’abord pour des raisons cinématographique : le film est d’une grammaire très télévisuelle, très télé-réalité même, qui mélange pures scènes de fiction, lorsque Hitler est engagé en qualité d’animateur par une chaine de télévision qui serait notre équivalent de M6 ou TMC - Hitler dans ce film a clairement un côté Hanouna par exemple - et scènes de caméra plus ou moins cachée, un peu sur le mode « Strip-tease » ou même plus franchement burlesques et authentiques du type « Caméra invisible ». Autant dire donc qu’on est à la télé, avec tout ce que cela implique… Les autres raisons sont historiques, du moins à mon sens : une fois encore, on réduit le nazisme, le Troisième Reich et les horreurs de la Seconde guerre mondiale à la seule figure - au sens stricte - d’Hitler, en un épouvantail pratique, qui évite de trop réfléchir. Il est établi aujourd’hui par nombre d’historiens, comme en France Christian Ingrao ou Yohann Chapoutot, que le nazisme ne peut se réduire à ce personnage, aussi sinistre fut-il. Pour être franc, Wnendt et Masucci tiennent compte de cela tout de même, mais dans une version qui ne parvient jamais à enlever à Hitler sa dimension presque magique, peut-être un peu embarrassante plus de 70 ans après sa disparition. Bon, c’est certain que le ressusciter ne peut certes pas lui ôter cette dimension… Peut-être cette limite est-elle de fait inscrite dans le projet même du film. 

Et puis, il y a la dernière raison surtout, celle de l’humour, qui est réel, et pourtant ambigu. J’ai vraiment ri à plusieurs reprises, et pourtant l’humour, sur Adolf Hitler qui plus est, reste un trait fortement marqué par son caractère national, rendant souvent anodin pour un français ce qui est drôle pour un allemand, et inversement… Comme quoi, peut-être, au moins Hitler a-t-il encore l’étrange capacité internationale à nous faire rire, si l’on pense qu’il le faisait depuis déjà les années 40’ avec Chaplin en passant depuis par Jerry Lewis, Mel Brooks ou dernièrement le Néo-Zélandais Taika Waititi, avec Jojo Rabbit. Un motif donc, un vrai, mais dont les développements dans ce film laissent pourtant un peu circonspect.       

ça vaut le coup ? 

Ce qui vaut le coup, c’est la performance d’Oliver Masucci, qui loin du sépulcral - et peut-être paradoxalement trop sympathique - Bruno Ganz de La Chute, film parodié d’ailleurs dans ce film, parvient à faire d’Hitler à la fois un personnage falot et fascinant, qui réussit à toucher les gens, sa seule vraie « came » de démagogue. Il y a là pour le coup, sous le vernis de la drôlerie et de la dérision, quelque chose qui fonctionne vraiment : on n’est pas dans l’Actor Studio, loin de là, Masucci n’incarne pas le dictateur, plus justement, il en saisit quelque chose dans le verbe, notamment en improvisation, un peu à la manière dont avait pu le faire, et le réussir, Chaplin, mais qui lui le faisait en poète et artiste de cirque presque, avec une logohrrée musicale, plastique, et jubilatoire. Là, Masucci joue plus sur le sens et les opinions, notamment dans les moments de caméra « cachée » - la caméra ne l’est pas forcément, mais on n’évoque pas le tournage d’un film de fiction - durant lesquels, les gens se « lâchent » vraiment, avec une jubilation mauvaise, comme si la caméra, le dispositif conventionnel du film forcément facétieux, les autorisait à toutes les transgressions. C’est là que le film, grâce à la performance de Masucci, qui parvient à « accoucher » les gens, à « jouer du piano sur le peuple », comme le dit son personnage, toujours sur ce fil ténu entre humour invraisemblable et affirmations effrayantes, trouve son intérêt le plus grand, nonobstant les éventuelles manipulations dont ont pu faire l’objet certains de ces « braves gens » qui profèrent tout à coup des horreurs, en ayant l’impression de bien rigoler…         

c’était mieux avant ?

Pour ce qui est du fond de l’affaire, et donc de ce fameux temps passé qui ne cesse de revenir sous forme de fantôme, là les deux camarades me semblent moins à la hauteur. Tout cela finit par avoir la consistance d’un tract d’extrême-gauche, certes assez marrant, mais qui ne va pas bien loin, et qui parfois n’hésite pas à utiliser les moyens qu’il prétend dénoncer : la télé, c’est tous des Goebels obsédés par le pognon, YouTube, c’est tous des collabos prêts à tout pour quelques likes, à Bayreuth, on trouve des nostalgiques du Troisième Reich, en Bavière aussi (non ?), Merkel est une molasse - là l’extrême-gauche est étrangement d’accord avec l’extrême droite…  - et on en profite au passage pour taper un petit coup sur les Grünen, les Verts allemands, parti dont se réclame Hitler, dans sa logique « écologique » tordue - son darwinisme sociale intégral. 

Le côté "Gilet jaune" de l’affaire finit par nous perdre un peu, d’autant que l’obsession fondamentale de Hitler, l’antisémitisme, est évacuée en une scène un peu problématique : c’est la grand-mère grabataire rescapée de la Shoah de la copine du héros qui finit par remettre les points sur les i, dans une scène hystérique, qui si elle n’est certes pas drôle, relève tout de même de la même économie que tout le reste du film. Il n’y a qu’un moment où un passant, spontanément, dit que c’est une honte de faire un film comique avec Hitler. Seule scène peut-être qui prend acte de la limite de son propre propos, avec cette fin où Hitler est finalement jeté du haut d’une tour, avant de revenir encore, et encore : il fait parti de nous, donc. 

Ce qui n’empêche pas une coda discutable du triomphe médiatique du dictateur : « C’est un bon début », conclue-t-il sur la mélodie électronique d’un Mozart très Orange Mécanique, tandis que le héros finit enfermé en hôpital psychiatrique, parce qu’il a prétendu que c’était là le vrai Hitler qui était revenu. Une manière de souligner qu’il est difficile de traiter encore ce fantôme dans le placard autrement que sur ce mode grotesque. Dommage. Mais à l’époque de Trump, peut-être la réalité suffisait-elle…


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