J'aime beaucoup le kaiju eiga, genre hype depuis que quelques producteurs hollywoodiens ont payé leurs
caprices à des cinéastes diversement épris du genre, en espérant trouver de
quoi pomper un peu de sang neuf dans leurs grosses machines estivales.
Le film de monstre japonais,
donc, nouvelle coqueluche pour le deuxième été de suite après Pacific Rim l'an
dernier, avec un retour aux sources, un reboot
comme on dit maintenant,
d'une série tellement profondément japonaise qu'on ne peux s'empêcher d'éprouver une forte antipathie pour cette nouvelle tentative de hold-up américain, après un premier braquage limite amateur tenté par un cinéaste d'origine allemande ayant crû qu'on lui commandait un remake de Jurrassic Park.
La très jolie bande-annonce de Godzilla (1998), véritable petit court-métrage
spécialement tourné pour l'occasion.
Comme le film de Del Toro,
Godzilla est financé par Thomas Tull, patron de Legendary Pictures, dont
l'amour pour la fantasy, les monstres, et un cinéma mythologique n'est pas à
remettre en cause. Associé à Warner (à l'époque), il partage avec le studio un
certain goût pour l'association de cinéastes dotés d'une "vision"
artistique forte à de grosses machines à cash. Le problème c'est que Legendary
veut œuvrer à l'échelle du blockbuster, ce qui implique des budgets
gigantesques, des enveloppes promotion tout aussi grosses, et
presqu'obligatoirement, une entente cordiale avec la Chine, en passe de devenir
le marché numéro un du cinéma mondial.
Pacific Rim (2013) , l'autre Kaiju Eiga de Legendary Pictures, réalisé par Guillermon Del Toro.
Nouvel avatar de cinéma
globalisé qui est sans doute l'avenir d'Hollywood, Godzilla souffre constamment
de son cahier des charges, et donne raison au protectionnisme du cinéma nippon.
Parce qu'au fond, Godzilla,
c'est un truc de cinéphiles. Cinéphiles déviants, cinéphiles de 8 ans, mais
cinéphiles quand même: la plupart des films de la série ont été mal distribués,
difficilement disponibles, souvent édités sans grande logique (saluons, cela
dit, le travail formidable, comme
toujours d' HK qui publia une collection Kaiju en VHS), dotés de Vf
épouvantables ou sans VF du tout.
Des films de cinéphiles
surtout parce que ce sont des films absolument japonais- jusque dans les fameux
trucages "man in suit", marque de fabrique de la série tout autant
que barrière culturelle infranchissable pour beaucoup. Comment réagir devant
des films au ton parfois très sérieux (ou pas !) proposant pour leurs acmés
dramatiques des scènes au effets spéciaux quasiment inchangés depuis les années
60 ? Il y a là, sans aucun doute également un trait culturel: pas interdit voir
un attachement à la tradition, et une incompréhension devant les nécessités
d'un réalisme photographique typiquement nippon.
Osbsédés, à l'instar d'une
majorité du grand public, par l'idée qu'immersion dans une fiction fantastique
rime forcément avec photoréalisme, les fabriquants du Godzilla 2014 tente le
grand écart entre respect, sincère et parfois littéral de la mythologie
originale, et goût moderne pour le fantastique "réaliste". Inutile de
dire que l'acrobate qui tente le coup a interêt à avoir une souplesse
inhumaine, et ce n'est certainement pas le cas du pauvre Gareth Edwards, auteur
d'un seul long métrage, Monsters surtout réputé pour son budget presque nul. Un
cinéaste autrement plus expérimenté, profondément américain, mais cosmopolite
aurait été plus à sa place. Rêvons un peu, par exemple, au Godzilla d'un Mc
Tiernan au sommet de son art.
Selon la logique fatiguante
et depuis longtemps inévitable accompagnant la sortie de n'importe quel
Blockbuster, Godzilla déroule sa promotion rouleau compresseur. Dans le cadre
d'un film mettant en scène un monstre saccageant des villes entières, c'est
savoureux. Mais quand la poussière des press-junkets et des tweets fébriles
post sneak preview retombe, il ne reste vraiment pas grand chose à dire. Le
film d'Edwards est une toute petit chose sans grand interêt. On comprend très
vite que tout a été pensé en fonction du public visé, quel scénariste peut
avoir encore sincèrement envie d'écrire l'histoire du scientifique incapable de
faire le deuil de sa femme morte devant ses yeux impuissants, et que le
transfert névrotique sur la recherche de créatures dont personne ne croit
l'existence possible a séparé de son fils ? Qui a envie de dialoguer des scènes
entre un fils devenu militaire (mais gentil, il désamorce les bombes au lieu de
les poses...) revenant auprès de sa femme après un long déploiement sur le
terrain ? Quel cinéaste peut avoir encore envie, sincèrement, de nous raconter
l'histoire du brave caporal qui essaie de retrouver son fils et sa femme à
travers une ville en ruine ? Le tout écrit avec l'oeil sur le cartouche de
classification du film: pas de sang, pas de nudité, pas jurons, pas d'action
trop intense. Pas de désir, pas de pulsion. Même quand Edwards tente, via deux
mouvements d'appareil symétriques, de relier le destin de Godzilla à celui du
soldat Brody. Mais les monstres et les
hommes, en fait, ne se rencontrent jamais.
Godzilla c'est le pire du
cinéma déjà-vu. Le sérieux avec
lequel Edwards filme tout ça est pathétique, c'est l'admirateur de Rencontre du
Troisième type et du cinéma de Spielberg qui fait son fan-film a 150 millions
de dollars. Dans tous ces moments, Edwards n'a pas plus de talent ni d'humanité
qu'un Michael Bay. Il fait simplement preuve de plus de retenue. Quand il
s'agit de montrer le Monstre en action, par contre, tout est parfait. Cadrages
impeccables, images dantesques, compositions dynamique, et beaucoup de beaux
jeux avec l'envie de voir du spectateur: fumée, brouillard, mouvements
d'appareils, Edwards joue superbement du hors champ, et filme son Godzilla
comme un dieu, avec un amour perceptible. Ah! ce cri poussé face caméra ! Oh!
le coup de queue fatal qui abbat l'ennemi. Oui ! Le feu atomique illuminant la
crête du monstre, et qui est vomit dans la bouche de la bestiole ayant osé
défié le lézard géant ! La création plastique du monstre, et toutes les scènes
tournant autour de lui sont splendide et méritent à elles seules qu'on se
penche sur le film, pour peu qu'on est le goût d'un cinéma illustratif.
Le feu atomique et le coup de queue fatal: deux classiques de Godzilla, repris par Gareth Edwards. Une scène où éclate tout le talent plastique du réalisateur; et son amour sincère des films de la Toho, dont la grammaire de mise en scène est ici partiellement reprise.
Mais finalement, à l'instar
de ses personnages, Edwards reste un spectateur de son propre film, et du
Godzilla des japonais. Peut-être que cet échec à embrasser le regard de l'autre
et faire siens ses rêves et ses cauchemars est le plus beau compliment à
adresser au Roi des Monstres ?
Loin des autoroutes
promotionnelles où roulent à toute blinde, pare choc contre pare choc, les
web-journalistes obligés d'en être pour survivre, on pourra voir passer, à
condition de lever un peu le pied, de superbes réussites du Kaija Eiga, moderne
et détachée de la figure tutélaire du dinosaure atomique.
Gamera, Gardien du l'Univers, influence officieuse majeure du film d'Edwards.
D'abord sous la caméra de Shu
Kaneko, pour la trilogie Gaméra, superbe retour aux sources du Kaiju, aux
effets spéciaux passionnant, et où les monstres et les hommes se rencontrent
vraiment. L'idée d'un Godzilla protecteur de la Terre (pas des humains ! Le message écologique à la mode est bien pris en compte par les sondeurs de la Warner) vient probablement de ce film.
Et surtout dans le coréen The Host, aux effets spéciaux réalisé en
partie avec le concours du Weta Workshop de Richard Taylor. Là, sans compromis,
Boong Joon Ho livre une incroyable fresque, drame d'une famille
dysfonctionnelle (une vraie, pas comme dans Godzilla !), pamphlet politique,
film de monstre. Doté d'un budget confortable, le cinéaste de Memories of
Murder livre un film libre, beau, imprévisible, bouleversant, et surtout
humain. Le Kaiju-Eiga beau et moderne qu'il faut voir, c'est celui-là.
The Host: Le Kaiju moderne, par Bong Joon Ho. Un chef d'oeuvre.
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