1/10: Robocop, José Padilha, USA, sorti le 5 février.
Puisque l'automne a commencé fin juillet, on me pardonnera sûrement de considérer que le début de l'été, c'était février- occasion de parler d'un film longtemps repoussé, qui a trouvé avec peine une petite place au début de l'année, avant que le rouleau compresseur de ses concurrents ne le lamine. Et pourtant, il est bien équipé, notre premier produit made in hollywood, à l'épreuve des balles et du temps, puisqu'il s'agit du redouté remake de RoboCop, pur classique du cinéma d'anticipation signé en 1988 par un Paul Verhoeven posant avec son film un pied victorieux et conquérant sur le sol américain. Situation similaire à celle de José Padilha, bouillant cinéaste brésilien qui signe ici un pacte avec le diable ou pire, les exécutifs de Sony. A-t-il lui aussi réussi à subvertir le système ?
La belle scène du réveil de Murphy dans sa machine, où Padilha accepte l'héritage de l'animation japonaise quant au thème du "fantôme dans la coquille"
Bien entendu, personne n'a envie de voir un remake de
RoboCop, et a ceux qui doivent découvrir le personnage, on renverra évidemment
au film de 1988. Mais mettons de côté l'agacement devant une pratique qui est
en fait un des nerfs de la guerre pour les producteurs hollywoodiens depuis des
lustres. D'autant plus que le film de Padilha ne démérite pas et mérite qu'on
le regarde pour lui-même. Il faut même reconnaître que c'est un film réussi.
Même si on sent constamment le balancement entre les
attentes du studios et la tension, contraire, que le réalisateur tente
d'imprimer à son film. Tension dont le film de Verhoeven ne souffrait jamais,
le cinéaste hollandais avait réussi à livrer un film parfait de bout en bout,
dans lequel sa vision s'exprimait autant qu'il l'avait souhaité, à deux trois
plans sanglants prêts.
Du sang, il n'y en a pas dans ce nouveau film. Première
contrainte du deal de Sony avec ses ditributeurs: livrer un film PG-13. On se
tire dessus, on se fragmente à l'explosif, mais, comme dans tant de
blockbusters grand public actuels, jamais le moindre impact de balle, pas de
membre déchiré, pas une goutte d'hémoglobine. Le paradoxe étant qu'évidemment
la violence du film est au contraire exacerbée par cette déréalisation, et
l'effet produit sans doute contraire à celui recherché: a ne pas vouloir mettre
les spectateurs mal à l'aises, on fabrique un spectacle absurde, dans lequel la
violence ne marque jamais les corps.
Mais le film ne Padilha n'est pas le seul, loin de là, à
souffrir de son classement. Et le cinéaste parvient, dans les meilleurs
passages- et ils sont très bons- à sacrément secouer son mangeur de pop-corn. Dès
le début dans une ouverture saisissante bien qu'attendue: une équipe télévisée
accompagne une brigade de police
intervenant dans une zone urbaine à reconquérir.
Femmes voilées, enfants otages, immeubles délabrés par des
années de guérilla, et rues parcourus par des robots bipèdes, versions
modernisées du fameux ED 209: la volonté d'actualiser le contexte du film
original- un Detroit ravagé par le chômage pas vraiment atteint par la lumière
reaganienne- en lui substituant une anticipation science-fictive cohérente avec
les angoisses de notre époque est très réussie. Et permet de mesurer, par
comparaison avec l'ouverture du film de 88 tout le projet de Padilha.
D'une part, il s'agit de livrer un vrai film d'anticipation-
là ou Verhoeven plaçait l'action dans un future très proche lui permettant
surtout, par un effet d'exagération, de faire accepter la satire. Mais le
décorum science-fictif, dans ce film comme dans les suivants, ne l'intéresse
pas vraiment. Padhila, oui, et même s'il développe lui aussi un regard critique
sur des éléments comparables au film original, notamment les personnages
créateurs du robot, c'est sur un ton sérieux loin du délire rigolard et
vulgaire du hollandais.
D'autre part, Padilha comme Verhoeven placent au coeur de la
critique du film le parcours humain de son héros, et si Padilha ne démérite pas
du tout, Verhoeven avait autrement plus d'élégance. Néanmoins, le brésilien
trouve sa propre voix aussi, en developpant la relation de Murphy avec sa
famille, sous-intrigue particulièrement glissante. D'avoir confié le rôle de
Mme Murphy à la lumineuse Abbie Cornish aide beaucoup à l'emotion qui se dégage
de ces scènes jamais surjouées.
Un sommet est atteint lorsque Padilha démonte son héros
membre par membre, sous l'oeil d'une caméra gracieuse, en un doux plan
séquence, dont le velouté ne fait qu'accentuer la violence de l'image. Peut-être
le moment le plus fort du film, à l'évidence symbolique aussi limpide que celle
des images du film original.
La charge contre la politique sécuritaire américaine, et le profit pour les marchands d'armes au sens large) n'est pas forcément très
virulente, mais elle est juste, et pose les questions qu'on peut attendre d'un
vrai film de SF anticipative. Reprenant le principe des intermédiaires
télévisés, Padilha confie à Sam Jackson un personnage de présentateur façon Fox
News- idée brillante, qui permet au cinéaste de refermer le film au cri hystérique de "America will never
lose" (de mémoire...en substance c'est ça.) Gonflé.
Le film bénéficie d'ailleurs de seconds rôles formidables, et c'est un grand bonheur de voir ce que peuvent des acteurs comme Michael Keaton ou Gary Oldman avec leurs personnages, sans jamais verser dans la caricature. La scène où est discuté la couleur la plus vendeuse pour le produit RoboCop est un régal d'ironie.
Des acteurs de second rôles excellent, comme lors de cet échange entre Michael Keaton et son employé, Gary Oldman, au sujet du potentiel commercial du look de RoboCop.
A la décharge du film, par contre, ces scènes d'actions
imposées, pas particulièrement ratées mais impersonnelles et commandées le plus
souvent par une nécessité rythmique- ne pas passer plus de 20 minutes sans
déployer la puissance de feu de Robocop- plutôt que dramatique. Le dénouement
du film s'embourbe dans des affrontements inévitables qu'il aurait fallu
expédier plus vite, comme chez Verhoeven. Dans ces passages, on sent que
Padilha donnent des gages au studios- voire laisse faire la seconde équipe.
C'est que son Robocop est un personnage curieux et assez
beau, qui a gardé quelque chose de la présence lunaire de Weller. Il n'a, en
fait, pas grand chose à faire dans sa propre histoire, puisque son existence
n'est due qu'à des fins politiques: il doit faire changer d'avis les sénateurs
américains au sujet de l'interdiction sur le sol des Etat-unis des robots de
maintien de l'ordre. Son efficacité réelle dans le combat contre le crime n'a
en fait aucune importance. Un personnage qui n'existe que parce que les
décideurs capables de le construire ont les moyens de le faire, et espère en
tirer grand profit. Inutiles de dire qu'on comprend bien combien Padilha a
aussi saisi ce qu'on attend de lui, et nous le dit sans détour. Franchement,
chapeau.
Film disponible en DVD zone 2, chez MGM/Sony/Columbia.
Le trailer in your face, comme d'habitude, avec la musique qui fait boum-boum et le montage qui pique les yeux.
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