jeudi 19 février 2015

Le château des millions d'années (Stéphane Przybylski, Le Bélial, 2015)

Raiders of the lost flying saucer ! 

 

 Un livre qui est presque un film. Il a donc toute sa place ici, et nous donne l'occasion d'inaugurer notre wagon bibliothèque flambant neuf !



Le château des Millions d'années, qui devrait être suivi de trois autres volumes formant le cycle des "Origines" a les défauts de ses qualités, ou vice versa, selon le goût que son lecteur aura pour le cocktail d'aventure, de mysticisme et d'ufologie ici concocté avec un soin maniaque par Stéphane Przybylski.

Si les références citées en quatrième de couverture, des séminaux Aventuriers de l'Arche Perdue, à X-Files sont tout à fait justes, on pourrait aussi bien y ajouter, de Stargate à Hellboy, presque n 'importe quel récit réécrivant notre histoire "secrète" à la lumière de la présence cachée sur notre planète d'extra-terrestres venus la visiter à l'aube de l'humanité.

Là aussi, l'auteur réussit à enthousiasmer et décevoir à la fois: il n'y a rien, absolument rien de neuf, sur ce terrain, dans les propositions de Przybylski, qui joue le jeu dangereux de la remise à plus tard du grand dévoilement. Mais c'est indiscutablement habile de réussir à nous tenir en haleine sur plus de 350 pages avec des éléments science-fictifs aussi peu développés et aussi convenus que ceux de blockbusters façon Indiana Jones et le royaume du crâne de Cristal ou Cow-Boys et envahisseurs (l'épisode du bracelet !)

Prsybylski réussit son coup en choisissant un point de vue rare dans son sous-genre: celui de ces nervis du parti Nazi qui traquent reliques et trésors enfouis. Ici, Friedrich Säxhauser, espion chargé de la sécurité d'une expédition en Irak, partie à la recherche d’hypothétiques traces d'une civilisation Aryenne, et qui va être invitée "à prendre un raccourci qu'elle ne trouvera jamais..."

 On ne quittera jamais notre zone de confort moral, et l'agent allemand n'est pas loin du typique "gentil" Nazi permettant encore l'identification du plus grand nombre: de plus en plus dégoûté par les réalités de l'idéologie Hitlérienne, ceux à qui il a juré fidélité parce qu'ils l'ont sorti du  caniveau au bon moment lui semblent de plus en plus étrangers, et de plus en plus dangereux pour la survie du monde à mesure que la menace d'une nouvelle guerre se précise.  Convenu, mais Przybylski soigne le portrait de son héros, et sait nous le rendre vivant, d'autant plus qu'il anime ses tourments à travers des saynètes, souvent racontées en flash-backs, évitant le piège du dialogue psychologique lourd de sens et privilégiant l'action bien scénographiée. Là, l'auteur démontre une belle adresse dans l'usage du hors-champ, tant à l'échelle globale du roman- l'agencement très habile des aller-retours entre passé et présent en parallèle de l'intrigue principale, qu'à l'intérieur des scènes, comme ce moment culminant du parcours intérieur de Säxhauser, où l'on découvre l'origine de son lien avec Hitler, point aveugle longtemps caché, et qui donne un sens au destin qui semble devoir être le sien dans la guerre imminente.

Des moyens très cinématographiques mis en oeuvre, et c'est souvent à un blockbuster hollywoodien bien troussé qu'on pense en dévorant les courts chapitres comme autant d'épisodes d'un sérial un brin trop sage (pour l'instant ?) mais qui sait tenir en haleine. La publication en épisodes, que je n'ai pas expérimentée, semble une vraie bonne idée, toute naturelle.

Un écriture pleine d'images, donc, jusque dans le soin apporté à des transitions visuelles entre souvenirs et action du moment- j'ai bien souri à un moment, lorsque c'est une gerbe de vomi qui nous projette dans le passé ! une réminiscence ironique des transitions tarabiscotées de Russel Mulcahy dans Highlander ?

On a bien insisté, dans la communication autour du livre, sur le sérieux d'historien (amateur ?) de l'auteur. J'avoue ne pas être le genre de lecteur pour qui savoir si la moto Condor utilisée par Säxhauser pour poursuivre ses homologues britanniques a bien gagné, ou pas, les championnats les plus prestigieux de cette année 1939, ajoute quoi que ce soit à la scène. Pas plus que la cohérence des déplacements dans le Bagdad de l'époque, à Santorin ou Munich etc... Néanmoins, le recours à une nomenclature de noms allemands, à des noms de modèles, de marques, pour les accessoires, les vêtements crée son petit effet, et finit par rendre extrêmement concret l'univers des édiles allemands à la veille de la guerre.

La vraie singularité du livre est là:   à deux doigts de se laisser aller, parfois, à des descriptions d'évènements politiques dans lesquelles on sent la volonté de rendre concrète toute la complexité de la prise de pouvoir sur les esprits de la doctrine Nazie (la plupart des scènes avec Hitler), mais qui ne sont pas indispensables à l'intrigue, l'auteur exprime aussi sa voix propre, et donne une identité unique à son récit.

Des personnages convenus mais rendus très vivants, une aventure mêlant espionnage et ufologie complotiste, un contexte historique attendu, mais jamais vu comme ici, le Château des millions d'années se risque, dans ses ultimes scènes au jeu dangereux de la promesse: rien, au bout du compte, d'inattendu dans ce premier volume, qui se clôt, avec un art consommé du feuilleton, sur un cliffhanger intenable et jouissif: le héros, enfin paix avec son âme, a pris sa décision, mais semble promis à une mort certaine, tandis qu'un épilogue situé 9 ans plus tard ne nous renseigne pas vraiment sur son destin, ni sur la nature des conséquences de la découverte de Säxhauser: le récit va-t-il basculer dans l'uchronie ou pas ?

Damned ! S'il ne faut mesurer la réussite du roman que de ce point de vue, elle est indiscutable: on a terriblement envie de connaître la suite ! 
Pierre Brrr





2 commentaires:

  1. Bonjour,
    je n'ai pas autant de références cinématographiques, aussi j'ai apprécié ce premier tome parce que c'est un bon roman historique et qu'il s'en rencontre peu d'aussi denses en littératures de l'Imaginaire. On se pose plein de questions à la fin quant à l'orientation de l'intrigue, et oui, bien sûr, on est frustré de devoir attendre la suite...

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  2. Mais je l'ai aussi apprécié ! Je l'ai même lu très vite. Simplement, une grande partie du plaisir du livre provient de l'attente qu'il génère, et rien n'est plus doux que se faire souffler de belles promesses, mais rien n'est plus amer que de les voir non tenues ! nous sommes d'ailleurs nombreux à souligner dans nos chroniques combien le livre "donne envie de savoir la suite". Et pourquoi pas ! il y a dans la candeur avec laquelle Przybylski aborde le feuilleton quelque chose de paradoxalement rafraîchissant.

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